Le Syndicat de la magistrature s'oppose à la réduction du nombre d'assesseurs siégeant dans les cours d'assises spécialement composées. Cette réforme, présentée pour des motifs gestionnaires, conduirait à un recul dangereux de la collégialité pour le jugement d'affaires criminelles graves et à un affaiblissement des garanties du procès équitable.
Il appartient à la chancellerie de mettre les juridictions en capacité de juger ces affaires, comme de traiter les contentieux du quotidien, sans renoncer aux garanties essentielles de la collégialité. En 1986, en réponse à la vague d’attentats qui avait frappé le pays, la loi du 9 septembre 1986 attribuait, dans un article 698-6 du code de procédure pénale, une compétence exclusive pour le jugement des crimes en matière terroriste à une cour d’assises spéciale composée exclusivement de magistrats professionnels. La compétence de cette cour a ensuite été étendue au jugement des crimes de participation à un groupement ayant pour but le trafic de produits stupéfiants et des crimes relatifs à la prolifération d’armes de destruction massive.
Cette cour d’assises spéciale est composée d’un président et de six magistrats professionnels en première instance et huit en appel.
La raison avancée de cette réforme était de limiter les risques de pressions sur les personnes chargées du jugement de ces infractions et les difficultés liées à la réunion des jurés.
La philosophie de la proposition de loi, qui fait passer le nombre de magistrats siégeant dans la cour spéciale de six à quatre et de huit à six, est toute autre : il tente de pallier l’engorgement de la cour d’assises de Paris.
Sont en effet en cours 195 enquêtes préliminaire et 160 informations judiciaires relatives à des filières irako-syriennes et sept dossiers sont audiencés devant la cour d’assises spéciale pour le début de l’année 2017. Cette situation résulte notamment de la politique du parquet de Paris qui a annoncé qu’il retiendrait de manière massive la qualification criminelle en matière terroriste et des annonces du président du tribunal à l’automne dernier.
Il évaluait alors une « déferlante attendue au deuxième trimestre 2017 » de 90 dossiers concernant 120 détenus et étant susceptibles d’occuper 3 à 4 jours d’audience chacun. Plus précisément, sept à huit affaires criminelles de terrorisme devraient être jugées en 2017 dont deux procès fleuve : celui du frère de Mohamed Merah qui devrait durer un mois et celui de la cellule de Cannes Torcy (avec une vingtaine de mis en cause) prévu sur trois. De manière plus générale, 250 personnes sont détenues pour des affaires de terrorisme et les procédures initiées suite aux attentas de novembre 2015 et de Nice occuperont évidemment des mois de débats.
C’est dans ce contexte que la présente proposition de loi est déposée. Elle vise uniquement à gagner du temps de juge sans résulter d’une réflexion sur la composition de la cour d’assises spéciale.
A ce titre, le Syndicat de la magistrature rappelle qu’il s’est toujours élevé contre le principe même de cette juridiction d’exception dont l’existence rompt le principe d’égalité des citoyens devant la loi en introduisant une distinction artificielle entre les affaires de terrorisme ou de stupéfiants et les autres procédures. Cette organisation poursuit l’extension des régimes dérogatoires en matière d’enquête, d’instruction et de jugement d’un nombre croissant d’infractions en matière de criminalité organisée ou de terrorisme, que notre organisation dénonce.
Certes, le Conseil constitutionnel a certes précisé dans sa décision rendue le 3 septembre 1986 que « par sa composition, la cour d’assises instituée par l’article 698-6 du code de procédure pénale présente les garanties requises d’indépendance et d’impartialité ; que devant cette juridiction, les droits de la défense sont sauvegardés ; que dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être écarté ». Mais cette motivation n’est pas nécessairement transposable à une juridiction dont le nombre de membres serait différent selon la nature des infractions jugées et ce d’autant que ces crimes considérés comme les plus graves seraient, avec la proposition envisagée, jugés par un nombre inférieur de juges.
Enfin, le Syndicat de la magistrature s’élève contre la tendance générale, et maintenant ancienne, qui consiste à réduire le nombre de magistrats dans les instances de jugement par en limitant drastiquement le recours à la collégialité et en faisant échapper des pans entiers du champ pénal à l’audience et ce, sans réflexion sur l’impact de ces réformes et dans le seul objectif de faire face à la pénurie de magistrats dénoncée depuis des années.